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Critiques de théâtre
23 mars 2010

Ciels de Wajdi Mouawad aux Ateliers Berthiers.

Wajdi Mouawad est l’un des dramaturges incontournables de cette saison parisienne. Après avoir présenté Littoral au Théâtre 71 à Malakoff en février, il met en scène une autre de ses pièces, Ciels, aux Ateliers Berthier. Un beau moment de théâtre dont l'intérêt ne réside pas tant dans la pensée appliquée à la guerre que dans son traitement dramaturgique.

Cinq personnages enfermés dans un lieu top secret enquêtent sur un groupuscule inconnu qui menace la sécurité des grandes puissances mondiales. La tension est palpable entre eux : le risque d’un attentat est toujours plus grand et l’un des leurs vient de se suicider au moment où il allait percer l’énigme terroriste. Le huis clos dans lequel ils vivent, loin de leurs proches, n’arrange rien. Il y a dans cette pièce du 24h chrono, du The Rock, du Piège de cristal : tous ces scénarios qui reposent sur un suspens insoutenable. Et Wajdi Mouawad n’a rien à envier aux super productions américaines. Le réalisme de ses dialogues et le rythme qu’il impose sont toujours justes et nous tiennent en haleine pendant plus de 2h30. Stanislas Nordey, que l’on connaît bien pour ses remarquables mises en scène, campe ici un cryptanalyste, capable de résoudre les énigmes les plus complexes avec grâce et rapidité. Les autres comédiens sont tout aussi convaincants, chacun dans un rôle fort et séduisant. Dolorosa, Vincent, Charlie, et Blaise, leur chef, luttent avec ingéniosité et professionnalisme contre le terrorisme tout en montrant des zones d’ombre chargées d’angoisses et de doutes.

Poncifs philosophiques et scénographie innovante

On peut être irrité par les textes de Wajdi Mouawad. Dans son quatuor avignonnais Littoral, Incendie, Forêt et Ciels, le dramaturge n’hésite pas à aborder les grands questionnements fondamentaux que sont la guerre, la mort, le bonheur, sans apporter de réelle conception innovante. Et il enfonce encore des portes ouvertes lorsqu’il montre dans Ciels qu’une œuvre d’art peut être une arme puissante. Et de fait, le message codé de l’attentat sera à chercher dans l’une des toiles du Tintoret. On conviendra que Wajdi Mouawad n’a rien inventé… Un Baudelaire, un Rimbaud ont montré avant lui que la beauté peut être fascinante et destructrice à la fois. Non, Wajdi Mouawad n’est pas philosophe, mais il prouve dans ce spectacle qu’il est un grand dramaturge et scénographe.

Pour Ciels, la salle des ateliers Berthier a été totalement transformée. Le public est invité à entrer dans un espace clos tout blanc où sont disposés des tabourets pivotants. Lorsque les portes se referment sur lui, le spectateur est entouré d’écrans vidéo qui le surplombent et qui se lèvent alternativement pour faire place à des espaces de jeu exigus qui figurent les chambres des personnages et leur lieu de travail. Il faut donc donner de sa personne pour assister à ce spectacle. A l’inconfort des tabourets sur lesquels on tourne pour regarder les scènes qui se jouent alentour, s’ajoute l’étourdissement que provoque la profusion des images et des bruits. On est dominé par le son tournant des messages codés que les terroristes s’échangent par téléphone en plusieurs langues. La menace est partout sans être jamais identifiable comme l’est, pour beaucoup d’occidentaux, le risque d’une catastrophe terroriste depuis le 11 septembre 2001.

Mais la haine entre les peuples n’est pas si récente, ce que souligne la projection d’une séquence vidéo. Les images des trains partant vers les camps de concentration, des obus tombant sur les villes du Moyen-Orient sont d’abord montrées en plan large puis se resserrent par zoom avant et semblent nous écraser sous le poids de leur réalité. La jeunesse a de quoi se rebeller face à tant d’atrocités, voilà le triste constat auquel arrive la pièce. Il s’agit pour les terroristes de tuer la génération des pères, ces bourreaux qui ont volé tout ce que la vie a de créatif et fertile : la poésie et la peinture que l’on a étouffées sous le bruit des bombes. Un tableau sombre sur notre époque auquel l’inventivité scénographique et dramaturgique de Ciels sert pourtant de contre-point. Un spectacle à voir.

 

Lou Grézillier.

Ciels, texte et mise en scène de Wajdi Mouawad. Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier jusqu’au 10 avril. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche le lundi. Durée : 2h30. De 12 euros à 32 euros. Réservations : 01.44.85.40.40.

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Commentaires
C
je reviens de cette pièce et à vrai dire je suis mitigée... La tension que vous soulignez m'a parue atteindre quelques limites : elle restreint la portée des propos ; la trame , le rythme s'imposent comme impératif de vitesse là où on aurait aimé une pause ( et pourtant il y en a , qui sont plus des parallèles , des mises en exergue des propos qu'un approfondissement de ce qui est déjà explicité)). La pièce pose des ébauches par le biais du texte qui finissent par agacer. Vous parlez de "portes ouvertes" et je m'accorde à cette pensée. La pièce ne donne pas d'outils pour creuser les interrogations , révoltes auxquelles nous assistons à tel point que j'ai trouvé la pièce , à certains égards, naive. Je m'en suis trouvée frustrée puis ennuyée profondément. Les ressorts de la pièce sont basés sur des procédés relativement simples : lyrisme , pathétique, rythme éssoufflé. La dimension poétique perceptible , revendiquée est obstruée , étouffée par ce qui a tout l'air d'un scénario. La scénographie, originale m'a paru nouer un paradoxe surprenant : elle incarne voir se nourrit de ce que la pièce dénonce ; on pourrait penser à une mise en abyme du spectateur attiré par une scénographie pourtant mise en question par le texte. Pour preuve la dernière scène , celle de l'accouchement où la toile de projection est brisée et réutilisée pour suggérer le nouveau né ; peut être un léger soupçon de pessimisme ? Il n'empêche que même si la scénographie est attrayante son côté technologique, volontairement design m'a questionné .. Il est à la fois signifiant mais c'est le fait qu'il use de nos ressorts habituels de sensibilité qui me dérange: la vue est sollicitée à outrance jusqu'à transfigurer la scène en salle de cinéma. Intéressant certes mais la pièce fonctionne presque uniquement sur ça . Sauf et il ne faut pas l'oublier son ouverture qui plonge le spectateur dans une ambiance sonore oppressante puis un texte poétique est -non pas dit- mais presque extirpé de la bouche qui contracte nerveusement les mots . Beau texte par ailleurs. <br /> Enfin les acteurs ne sont -à mon avis - pas si brillants. Stanislas Nordey est très impressionnant mais j'ai été déçue du fait que son jeu force l'authenticité du personnage jusqu'à la caricature ; autant la diction ne m'aurait pas parue dérangeante si elle n'était pas alourdie par la gestuelle très expressive de l'acteur. Pour les autres l'unique comedienne est remarquable après c'est peut-être la distance que j'ai eu avec la pièce qui me fait dire cela mais il y a des scènes fortes dans lesquelles les acteurs n'étaient pas crédibles, l'excès de leur jeu m'a parfois amusée plus que convaincue .Un manque de justesse ...Jusqu'à la caricature de leurs propres rôles alors même que les personnages incarnent des stréréotypes sociaux que nous avons tous à l'esprit. <br /> Tout cela ne m'empêche pas d'être assez admirative face à un tel "spectacle". L'accessibilité de cette représentation reste chose rare et réussie. Elle cerne avec finesse et justesse le monde contemporain. L'histoire peut être vue comme une sorte de fable (on peut penser au théâtre épique de Brecht) qui cependant trouve quelques limites...<br /> Merci pour votre critique qui est, à mon avis , très éclairante.
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