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Critiques de théâtre
19 mars 2010

Les Estivants de Gorki. Mise en scène d'Eric Lacascade à Sceaux.

La critique avait boudé la mise en scène des Barbares qu’avait proposée Eric Lacascade à l’été 2006. Qu’importe ! Le metteur en scène est resté fidèle à ses amours et a monté Les Estivants du même Gorki. La pièce se joue en ce moment sur la scène des Gémeaux à Sceaux. Magnifique.

Un bijou, ce spectacle ! Du texte, étonnamment moderne, aux acteurs, en passant par la scénographie et la musique, Les Estivants est une entière réussite. Il fallait tout le géni d’Eric Lacascade pour monter un texte aussi dense et monotone à la fois.

L’œuvre de Gorki n’a pas d’intrigue réelle sinon quelques amourettes adultères, pas non plus de réponses métaphysiques apportées aux questions posées par les personnages. Ces derniers sont des estivants réunis à la campagne pour les beaux jours et cette villégiature est pour eux l’occasion de réfléchir sur leur condition. Comment vivre, se demandent-ils ? Comment supporter cette existence confortable dénuée d’actions et d’idéologie ? Ces nantis de l’intelligentsia sont parvenus à leur but : se défaire de la misère ouvrière qu’ont connue leurs parents. Et étrangement, ils ne savent que faire de leur bourgeoise existence. On s’ennuie ferme. Alors on se dispute sur la littérature, un peu (il faut bien tenir son rang d’intellectuels), on joue, on boit, on séduit, beaucoup. « Ca ne vous rappelle rien ? » nous lance Eric Lacascade à la figure. L’intelligentsia d’hier est la même qu’aujourd’hui et le malaise qui gagne tous les personnages rappelle celui de notre société enrichie mais dénuée d’idéal.

 

Le plaisir de l’amusement

Lacascade a donc fait preuve d’une humble humilité en montant une telle œuvre. La pièce tient un propos riche et difficile à entendre par le spectateur moderne. Mais loin de nous faire la morale, le metteur en scène cherche avant tout à nous divertir enchaînant les trouvailles : les maisons, façon cabine de plages, que l’on déplace pour transformer l’espace de jeu ; les volets de ces cabanes qui servent tantôt de transats, tantôt de boucliers que les estivants un peu avinés utilisent pour former la position de la tortue des armées romaines (une scène hilarante).

Et tout se fait dans un chassé-croisé dynamique, mené tambour battant par une troupe de 14 comédiens remarquables. Parlons d’Eric Lacascade lui-même qui interprète brillamment un auteur en mal d’inspiration, préférant les jeux potaches aux travaux intellectuels. Face à lui, la comédienne Elisabetta Pogliani incarne avec beaucoup de grâce la fragile et tourmentée Maria Lvovna. C’est autour d’elle que les personnages se questionnent tour à tour, mais tous reculent devant une telle introspection et préfèrent continuer à vivre leur existence terne et sûre. Seule la jeune femme avoue ne pas supporter la bêtise de son mari, ose réprimander l’écrivain sur son manque d’idéal . Mais que peut-elle, pauvre figure fragile, au milieu de ce tourbillon de chansons et de jeux ? Tous, au lieu de l’écouter, préfèrent se voiler la face et lorsque finalement l’apparente harmonie implose, on se serre dans les bras et on renie ce qui n’apparaît plus que comme de simples « mots sur fond d’hystérie ».

Il est rare au théâtre que les scènes de fête soient réussies. Tout paraît artificiel et surjoué. On se demande souvent pourquoi les comédiens s’agitent et on leur en veut de ne pas rendre l’enthousiasme porté par le texte. Rien de tout cela ici. Sans doute la complicité des comédiens y est-elle pour quelque chose. Ils s’amusent sur scène, chantent de tout leur cœur, font sauter les bouchons de champagne avec des cris joyeux et nous permettent ainsi de nous rappeler l’inanité de la condition humaine avec moins de tristesse…

Lou Grézillier.

Les Estivants de Maxime Gorki. Mise en scène d’Eric Lacascade. Au théâtre des Gémeaux de Sceaux jusqu’au 21 mars. Mercredi au samedi 20h, le dimanche à 17h. Durée : 2h45. Réservations : 01.46.61.36.67. De 16 euros à 25 euros.

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