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Critiques de théâtre
30 août 2010

Fabrice Luchini lit Philippe Muray

Il vaut mieux avoir le moral avant d’aller écouter du Philippe Muray. Sa vision de la société est désespérément noire et le philosophe se plaît à déconstruire tous les idéaux optimistes visant à améliorer notre existence. Pour lui, l’art pour tous, le festif collectif sont des abstractions vides de sens qui nous éloignent du réel et nous obligent insidieusement à nous couler dans un moule liberticide. Oui, il vaut mieux avoir le moral à moins que l’on sorte galvanisé de cette lecture à l’idée que tout de même, il y a encore de nos jours ou dans le passé le plus proche (Philippe Muray est mort en 2006), des philosophes de génie, des littérateurs plein de verve dont on peut louer les idées et le style.

Rendons grâce à Fabrice Luchini qui a décidé de placer Muray à la suite de La Fontaine, de Céline ou de Baudelaire dont il a lu les œuvres dans ses spectacles précédents. Le pari est audacieux tant les textes de Muray sont non politiquement corrects. S’opposer à la fête, attaquer Martine Aubry et Ségolène Royal, non sur les 35 heures ou la « bravitude » mais l’une sur les emplois jeunes et l’autre sur son sourire, quelle drôle d’idée ! Mais il faut dire que Muray sait trouver les mots pour nous convaincre.

Luchini nous demande de ne pas faire de clivage politique et refuse de nous dire s’il considère Muray comme un auteur de droite ou de gauche. Désobéissons : le public est sans doute majoritairement de gauche et le rire qui se fait entendre dans la salle est un rire culpabilisé. On se regarde en chien de faïence dans le public en se disant « moi, j’avais bien pensé à prendre du recul sur mes idéaux, mais mon voisin …? ». Désobéissons encore : sans doute les textes de Muray ne prennent-ils véritablement de valeur que parce que ils sont entendus par de farouches opposants à l’individualisme et à l’égoïsme. Mais arrêtons là les blasphèmes.

On l'aura compris, les partisans de l'humanisme bien-pensant en prennent plein la tête dans ce spectacle. Or, Fabrice Luchini a la maladresse de leur faire encore insulte en soulignant les passages (qu’il juge) importants : «  Là, vous allez voir c’est du génie… » ; « Allez, je vous répète cette phrase… ». Que diable ! Ce sont de terribles liberticides de gauche mais ils ont un cerveau ! Notons que l’acteur n’avait pas cette condescendance face à Finkielkraut la semaine dernière sur France culture. Il expliquait les textes simplement sans vulgarisation excessive. Une très bonne émission à podcaster.

Accordons au comédien cette légère faute professionnelle tant sa lecture est limpide et enthousiaste. On rit beaucoup pendant le spectacle parce que l’intelligence du texte est exemplaire. Peu d’acteurs occupent aussi bien que Luchini un plateau de théâtre. Peu d’acteurs ont cette aisance, cette facilité de l’à propos, cette volubilité dans l’improvisation. Car Luchini, comme dans ses autres spectacles communique avec le public et réagit à chaque occasion qui lui est donnée. Certains spectateurs vont même voir l’acteur uniquement pour ces moments récréatifs. Allez-y aussi pour les merveilleux textes de Philippe Muray.

Lou Grézillier.


Théâtre de l'Atelier. Jusqu'au 2 octobre 2010.

 

 

 

 

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Commentaires
S
J'espère que j'aurai l'occasion de voir ça, à Paris ou ailleurs...
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