Cela faisait 14 ans
qu’Emmanuelle Béart n’était pas montée sur les planches. Elle interprète ici
Dora dans la célèbre pièce d’Albert Camus dont on célèbre l’anniversaire de la
disparition cette année. Emmanuelle Béart est dirigée par Stanislas Nordey et partage
l’affiche avec Wajdi Mouawad. Du beau monde pour un spectacle réussi, en partie
seulement…
C’est au cours des répétitions de Ciels (voir notre critique sur ce spectacle), la pièce de W.
Mouawad dans laquelle Nordey interprète un cryptanalyste luttant contre le
terrorisme, que ce dernier a redécouvert Les
Justes. Il s’interrogeait alors sur la réponse à adopter face au
terrorisme : la violence ou une autre voie ? Camus pose une question
comparable : contre l’injustice et la souffrance instaurées par la
tyrannie, le terrorisme est-il légitime ? Le poseur de bombe se montre lui-même
violent et injuste. La culpabilité risque donc de lui revenir en pleine figure.
Ivan Kaliayev qui s’est engagé dans la lutte révolutionnaire de l’organisation
socialiste russe, en ce début de XXème siècle, en est convaincu : la vie
de l’archiduc peut bien être enlevée pourvu que le pouvoir qu’il représente
soit ébranlé. Mais qu’en est-il des enfants qui l’accompagnent dans la
calèche ? Kaliayev doute.
Nordey rappelle dans sa note d’intention combien Camus, qui
a écrit L’homme révolté, est un
questionneur et non un théoricien. Ivan a-t-il raison de reculer au moment du
geste fatal ? Les générations futures sont érigées en juges puisque, pour
les révolutionnaires, Dieu n’a plus la parole. C’est donc le doute qui
prédomine dans l’appartement où sont reclus les conspirateurs, car on ne peut
savoir comment les révolutions seront perçues plus tard. Tous les personnages
s’expriment donc avec conviction et grandiloquence pour mieux croire à ce qui
ne peut pourtant être confirmé. Les comédiens prennent le parti d’articuler le
texte à l’excès et de souligner chaque mot d’un geste de la main comme s’il
avait ainsi plus de poids. C’est très vite lassant et on attendait peut-être
une interprétation plus fine de leur part. Mais heureusement Emmanuelle Béart est là.
Les émotions
étouffées
A l’instar des tragédies de Racine, Camus a choisi de situer
l’essentiel de l’action en dehors de la scène.La bombe qui explose, la mort du grand-duc, le désespoir de sa
veuve, rien n’a lieu sur le plateau. Mais si l’auteur de Phèdre laissait les sentiments prédominer sur la scène aux dépens
de l’action, l’effusion des sentiments est en revanche interdite aux
« justes » de Camus. C’est ce qu’a parfaitement compris Emmanuelle
Béart qui nous livre une interprétation séduisante et complexe de Dora, la
seule femme du groupe de révolutionnaires. Ses sentiments pour Kaliayev, dont
elle est éprise, passent après son idéal révolutionnaire. La voix de la
comédienne est froide, déterminée cependant qu’un regard, une intonation plus
douce font deviner le sacrifice sentimental consenti par Dora au nom de son
engagement politique. Jusqu’à exprimer l’espoir fou que Kaliayev soit condamné
à l’échafaud et qu’elle-même le rejoigne dans la mort.
Ces moments où l’émotion féminine prédomine sont une bouffée
d’air dans une mise en scène réglée comme du papier à musique.Les comploteursse tiennent tendus et immobiles puis se déplacent soudain tous
ensemble de manière linéaire comme si le geste et la pensée individuels étaient
impossibles. Avec le personnage de Dora mais aussi de la grande duchesse qui
vient parler à Kaliayev dans sa prison, l’émotion remonte à la surface en
brisant le mécanisme qu’impose la discipline révolutionnaire. Toutes deux
redonnent vie à un spectacle qui en manque parfois un peu.
Lou Grézillier.
Les Justes, Albert Camus. Mise en scène de Stanislas Nordey. Au
théâtre de la Colline jusqu’au 23 avril. Du mercredi au samedi à 20h30, le
mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30. Durée : 2h30. De 13 à 27 euros. Réservations :
01.44.62.52.52.
Je trouve que pour une fois le travail est excellent et tout le monde sur le plateu parfait.<br />
Vers la fin au moment de la prison mon avis est le suivant: Chapeau mr. Nordey!
P
pierre
30/03/2010 08:08
Je trouve aussi Emmanuelle Béart sublime, le texte d'une grande actualité, l'acte IV (à la prision) une réussite dans le jeu et les intentions, les costumes pures et beau mais aussi une mise en scène sobre et fine.
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