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Critiques de théâtre
29 mars 2010

Les Justes d'Albert Camus avec Emmanuelle Béart

Cela faisait 14 ans qu’Emmanuelle Béart n’était pas montée sur les planches. Elle interprète ici Dora dans la célèbre pièce d’Albert Camus dont on célèbre l’anniversaire de la disparition cette année. Emmanuelle Béart est dirigée par Stanislas Nordey et partage l’affiche avec Wajdi Mouawad. Du beau monde pour un spectacle réussi, en partie seulement…

C’est au cours des répétitions de Ciels (voir notre critique sur ce spectacle), la pièce de W. Mouawad dans laquelle Nordey interprète un cryptanalyste luttant contre le terrorisme, que ce dernier a redécouvert Les Justes. Il s’interrogeait alors sur la réponse à adopter face au terrorisme : la violence ou une autre voie ? Camus pose une question comparable : contre l’injustice et la souffrance instaurées par la tyrannie, le terrorisme est-il légitime ? Le poseur de bombe se montre lui-même violent et injuste. La culpabilité risque donc de lui revenir en pleine figure. Ivan Kaliayev qui s’est engagé dans la lutte révolutionnaire de l’organisation socialiste russe, en ce début de XXème siècle, en est convaincu : la vie de l’archiduc peut bien être enlevée pourvu que le pouvoir qu’il représente soit ébranlé. Mais qu’en est-il des enfants qui l’accompagnent dans la calèche ? Kaliayev doute.

Nordey rappelle dans sa note d’intention combien Camus, qui a écrit L’homme révolté, est un questionneur et non un théoricien. Ivan a-t-il raison de reculer au moment du geste fatal ? Les générations futures sont érigées en juges puisque, pour les révolutionnaires, Dieu n’a plus la parole. C’est donc le doute qui prédomine dans l’appartement où sont reclus les conspirateurs, car on ne peut savoir comment les révolutions seront perçues plus tard. Tous les personnages s’expriment donc avec conviction et grandiloquence pour mieux croire à ce qui ne peut pourtant être confirmé. Les comédiens prennent le parti d’articuler le texte à l’excès et de souligner chaque mot d’un geste de la main comme s’il avait ainsi plus de poids. C’est très vite lassant et on attendait peut-être une interprétation plus fine de leur part. Mais heureusement Emmanuelle Béart est là.


Les émotions étouffées

A l’instar des tragédies de Racine, Camus a choisi de situer l’essentiel de l’action en dehors de la scène. La bombe qui explose, la mort du grand-duc, le désespoir de sa veuve, rien n’a lieu sur le plateau. Mais si l’auteur de Phèdre laissait les sentiments prédominer sur la scène aux dépens de l’action, l’effusion des sentiments est en revanche interdite aux « justes » de Camus. C’est ce qu’a parfaitement compris Emmanuelle Béart qui nous livre une interprétation séduisante et complexe de Dora, la seule femme du groupe de révolutionnaires. Ses sentiments pour Kaliayev, dont elle est éprise, passent après son idéal révolutionnaire. La voix de la comédienne est froide, déterminée cependant qu’un regard, une intonation plus douce font deviner le sacrifice sentimental consenti par Dora au nom de son engagement politique. Jusqu’à exprimer l’espoir fou que Kaliayev soit condamné à l’échafaud et qu’elle-même le rejoigne dans la mort.

Ces moments où l’émotion féminine prédomine sont une bouffée d’air dans une mise en scène réglée comme du papier à musique. Les comploteurs se tiennent tendus et immobiles puis se déplacent soudain tous ensemble de manière linéaire comme si le geste et la pensée individuels étaient impossibles. Avec le personnage de Dora mais aussi de la grande duchesse qui vient parler à Kaliayev dans sa prison, l’émotion remonte à la surface en brisant le mécanisme qu’impose la discipline révolutionnaire. Toutes deux redonnent vie à un spectacle qui en manque parfois un peu.

Lou Grézillier.

Les Justes, Albert Camus. Mise en scène de Stanislas Nordey. Au théâtre de la Colline jusqu’au 23 avril. Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30. Durée : 2h30. De 13 à 27 euros. Réservations : 01.44.62.52.52.

 

 

 

 

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Commentaires
C
Je trouve que pour une fois le travail est excellent et tout le monde sur le plateu parfait.<br /> Vers la fin au moment de la prison mon avis est le suivant: Chapeau mr. Nordey!
P
Je trouve aussi Emmanuelle Béart sublime, le texte d'une grande actualité, l'acte IV (à la prision) une réussite dans le jeu et les intentions, les costumes pures et beau mais aussi une mise en scène sobre et fine.
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