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Critiques de théâtre
9 février 2010

Cercles/Fictions de Joël Pommerat au Théâtre des Bouffes du nord

En résidence depuis trois ans au théâtre des Bouffes du Nord, Joël Pommerat crée Cercles/Fictions, un spectacle écrit à partir d’histoires vraies. La scène représente un grand cercle : un lieu magique où le réalisme se mêle à l’imagination créative de la mise en scène pour un spectacle tout simplement sublime.


images

Un maître et son domestique dans une maison abandonnée, à seulement quelques kilomètres de l’un des champs de bataille de la Grande guerre. Le premier rêve à une révolution des consciences qui efface toute hiérarchie entre le maître et ses employés. Il désire aussi celui à qui il parle, son domestique, autre façon de réprouver la société traditionnelle dans laquelle il vit. Les nouvelles banales sur la guerre se muent donc en déclaration d’amour. Mais les réticences viennent du domestique lui-même, soucieux de rester dans le rôle que la société traditionnelle lui a assigné : servir. Voilà qui ferait un beau sujet de pièce, le nœud du drame semble bien exposé mais, en réalité, rien ne sera exploité plus avant. Cercles/Fictions est une succession de courtes scènes aux histoires variées entrecoupées de noirs profonds.

 

Eclectisme et cohérence

Une femme perd son bébé, un patron de multinationale s’amuse à remotiver des chômeurs longue durée, un prosélyte fait du porte-à-porte pour vendre ses bibles… Ces fictions, sans rapport immédiat entre elles, entrent pourtant en cohérence lorsque le noir se fait. Page blanche en négatif, le noir permet de repartir de zéro, pour une toute autre histoire. Mais le noir ramène aussi chaque fiction aux profondeurs d’un inconscient collectif fait de désirs, d’élans de vie et de pulsions de morts. Car à bien y regarder, ces fictions ne sont pas si étrangères les unes aux autres : une femme souhaite exterminer les barbares qui affrontent son pays dans la Grande guerre, un jeune homme provoque indirectement la mort de son patron pour monter en grade, une mère laisse mourir son enfant en refusant d’admettre qu’il est malade... la mort rôde, inquiétante et fascinante à la fois.


Le parcours des sens du spectateur

Les comédiens de Joël Pommerat s’avancent dans l’obscurité, ils ne font aucun bruit. Et quand nous les voyons de nouveau, plongés dans des lumières sublimes et évocatrices d’atmosphère, ils nous font l’effet d’une apparition fantastique et étrange. L’une des fictions s’ouvre sur des volutes de fumée qui sculptent la lumière tamisée. Accompagnés de bruitages évocateurs, les éclairages situent immédiatement la scène dans une forêt. Mais au-delà de la situation de l’action, ces lumières nous permettent d’éprouver de multiples sensations : l’humidité de l’air juste avant la pluie, le froid des corps mouillés après l’averse… Cette sensibilité extrême éprouvée par le spectateur est due sans doute aussi à la conception scénographique adoptée pour la première fois par Joël Pommerat. Les spectateurs entourent le plateau, croisant leurs regards en son centre et chacun devine celui qui est placé en face de lui dans l’ombre. Tout se passe comme si le spectacle s’éprouvait plus intensément en le partageant avec tous, acteurs à portée de souffle et spectateurs à portée de vue. Merveilleuse expérience du cercle.

 

Cercles/Fictions. Texte et mise en scène de Joël Pommerat. Au théâtre des Bouffes du Nord du mardi 26 janvier au 6 mars 2010. Du mardi au samedi à 20h30, matinées les samedis 6, 20 février et 6 mars à 15h30. Relâche les dimanche et lundi. De 18 à 26 euros. Réservations : 01.46.07.34.50. Durée : 2h10.

 

 

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Commentaires
B
Bonjour,<br /> En lisant cet article, j'ai compris que tu disais que l'expérience du cercle se faisait à travers celle du collectif des spectateurs. J'ai lu ailleurs (Les Trois coups) que les histoires nous touchaient parce qu'elles étaient plus ou moins proches de nous. L'émotion combinée de l'individu et du collectif, accentuée par un dispositif scénique circulaire ?<br /> Je pense plutôt que, sans invalider tout cela, le cercle est constamment décentré par Pommerat. Fragmentation et circularité forment un mouvement contradictoire qui fait tout le suc de la pièce. On ne sait pas où est le centre, il est invisible! Les jeux de lumière, les troubles chronologiques, tout prête à confusion? Et pourtant, on a toujours le sentiment que si, le centre est là. Quelque part.
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