Ordet de Kaj Munk, mise en scène d'Arthur Nauzyciel, au théâtre du Rond-point
Ordet signifie la parole. C’est
donc cette parole qui est interrogée dans la pièce de Kaj Munk : les
membres d’une même famille peuvent-ils se comprendre, les gens d’une même communauté,
celle du Danemark, celle des protestants, peuvent-ils communiquer ? Et la
réflexion est amenée plus loin : Kaj Munk montre que La parole par excellence, le Verbe de Dieu, peut
être compris de diverses façons et chacun croit pourtant avoir la primeur de sa
réception. Kaj Munk nous donne donc à voir l’histoire de deux amants, issus de courants
religieux différents qui ne pourront s’unir sans que ne se dressent devant eux
les divergences de leurs familles respectives.
Mais il ne s’agit pas d’un
énième avatar de Roméo et Juliette car l’intérêt de l’auteur ne va pas seulement à
l’incompréhension obtuse des hommes. Mikkel Borgen, le personnage principal,
magnifiquement interprété par Pascal Grégory, sait ne pas être toujours
tempétueux. Il est capable d’accepter la différence : il traite avec
douceur les divagations d’un fils qui affirme être le Christ, il tend
finalement la main à la jeune Anne pour en faire sa bru, malgré sa religion.
Mais au-delà de la volonté des hommes de s’entendre, on voit que les mots
eux-mêmes échappent à la compréhension : que signifie le mot
« mort » si une défunte peut se relever du cercueil où elle a été
placée ? Que signifie le mot « folie » si l’illuminé Johannes
s’avère être le plus sage ?
Il y aurait donc une vanité
de la parole et donc aussi des mots qui sont prononcés sur scène. L’auteur interroge le théâtre même dans
Ordet. L’essentiel ne serait pas dans le verbiage. Seule compte « la vie », ce
terme répété trois fois et qui clôt le spectacle : la vie des acteurs sur
scène, la vie des spectateurs qui reçoivent la pièce dans la salle. C’est ce
qu’il fallait mettre en avant sans doute dans le spectacle. Or, tant que la
parole se déverse sans pause réelle, sans respiration, le spectacle est noyé
dans ce flot. Et nous respirons enfin lorsque, dans la dernière
partie du spectacle, les personnages parviennent à communier dans une partie
chorégraphiée sans plus aucun mot prononcé.
La scénographie oriente la
pièce vers une dimension qui ne lui sied pas. Une vaste toile de fond
représente selon la variation des lumières un paysage enneigé, ou un test de
Rorschach comme si toute la pièce devait être envisagée à travers le prisme de
la réflexion et de l'interprétation subconsciente. Et « la vie » dans tout
cela ?
Lou Grézillier